Un carré de biodiversité pour une biodiversité au carré

Les végétaux sont de retour dans la cour de la cité scolaire. Certains apprécient, d’autres moins...Ce retour d’une flore spontanée et des insectes qui l’accompagnent s’inscrit dans une démarche de développement durable.

Selon un sondage publié en 2013 par la commission européenne, 93 % ( !) des européens sont « d’accord avec l’affirmation selon laquelle il est important d’endiguer la perte de biodiversité car notre bien-être et notre qualité de vie reposent sur la nature et la biodiversité ». Rappelons que la biodiversité peut se définir comme la diversité naturelle des organismes vivants. Elle se manifeste à toutes les échelles de son organisation (de la molécule aux écosystèmes), notamment par la diversité des espèces animales et végétales.

Malgré un sentiment à son égard généralement positif, la biodiversité continue de subir un effondrement majeur qui pourrait, à court terme, être gravement préjudiciable au bien-être humain. Deux chiffres, simples, issus de la recherche académique, devraient permettent de prendre conscience de l’ampleur du phénomène et de l’urgence à agir : (1) la biomasse des insectes a chuté de 80 % en Europe occidentale ces 20 dernières années ; (2) en moyenne, les populations d’oiseaux communs se sont réduites d’un tiers, en France, ces quinze dernières années.

Comprendre la biodiversité ainsi que l’intérêt de sa préservation constituent donc des enjeux éducatifs fondamentaux. Mais on ne protège que ce que l’on connaît. Or, l’humanité, et en particulier les jeunes générations se trouvent de plus en plus déconnectées du monde vivant. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à proposer à une classe quelques exemples d’espèces végétales et animales très communes versus une liste de logo de différentes marques : très peu d’élèves sont capables de nommer les êtres vivants, aussi communs soient-ils que la primevère, l’abeille domestique ou le merle alors qu’ils scandent à l’unisson la totalité des noms des marques d’après leur logo. Plus grave encore, des études en psychologie de l’environnement ont montré que chaque génération considère la biodiversité qu’elle côtoie comme le niveau de référence. La biodiversité chutant peu à peu, le niveau de référence que chaque génération considère comme une biodiversité « normale » ne cesse de chuter également. Ce processus, qualifié d’amnésie environnementale générationnelle est aujourd’hui parfaitement documenté (1).
Face à l’ensemble de ces constats, dans le cadre de la restructuration d’une cité scolaire où le bitume et le béton se sont substitués peu à peu au moindre espace de verdure, Sandrine Voisin et moi-même, soutenus par Mme Huet, avons imaginé un projet de réhabilitation de la biodiversité en son sein. En effet, le projet initial quant au carré de végétation était d’y rajouter du plastique par le bâchage du sol pour empêcher tout « contaminant », propos entendus des architectes en charge du projet, entendez par là, la flore spontanée - drôle de glissement sémantique…
Ce projet s’est matérialisé à travers deux réalisations :
 (1) la plantation d’arbres et arbustes mellifères de variétés autochtones par la classe de seconde 8 (année 2019-2020) accompagnée par l’association CARDERE ;
 (2) le semi de fleurs sauvages. Celui-ci n’a pu être réalisé que partiellement du fait de conditions météo particulièrement défavorables jusqu’au mois de mars puis du confinement ;

Le projet a été fortement perturbé par l’épidémie de COVID-19 et le confinement. Au retour de celui-ci, certains d’entre vous ont peut-être été choqués de voir le « carré » de végétation au milieu de la cour « envahi » de « mauvaises herbes » (des remarques, des réflexions entendues ici et là en attestent). Certes le confinement n’a pas facilité la gestion du carré en question mais il est fondamental de comprendre que cet « envahissement » (terme qui comme celui de « mauvaise herbe » préjuge du caractère néfaste de la flore spontanée, ce qui constitue un jugement de valeur très discutable) est en grande partie volontaire. En effet, le but n’est pas de constituer un « jardin à la française » mais de permettre l’installation d’une flore spontanée et locale.

A travers ce projet, nous visons plusieurs buts :
 améliorer le cadre de vie des élèves et du personnel de la cité scolaire  (notamment avec des « mauvaises herbes », oui !) ;
  familiariser les usagers de la cité scolaire avec cette flore spontanée et pourquoi pas même permettre de l’apprécier – franchement, un bleuet est-ce vraiment « moche » ou « sale » ? ;
 offrir aux pollinisateurs une source de nourriture (le remplacement de la flore spontanée par des variétés horticoles, son contrôle trop strict via un fauchage abusif voire une élimination systématique constituent l’une des raisons du déclin des insectes pollinisateurs après l’usage des pesticides)
 proposer un cadre d’étude de la biodiversité (c’est la biodiversité « au carré » !) à travers un suivi de la diversité végétale, des insectes pollinisateurs ainsi que des oiseaux communs.

Un premier relevé au mois de juin de cette année
Nous avons profité du retour du confinement pour effectuer un premier relevé de la diversité végétale avec quelques élèves de seconde. Le résultat a permis de relever au moins 25 espèces végétales différentes (certaines issues de semis, la majorité spontanée) dont :

 grand coquelicot (Papaver rhoeas) ;
 bleuet (Centaurea cyanis) ;
 pissenlit (Taraxacum) ;
 mouron des champs (Anagalis arvensis) ;
 chénopode blanc (Chenopodium album) ;
 brunelle commune (Prunella vulgaris),
 luzerne lupuline (Medicago lupulina),
 capselle bourse à pasteur (Capsella bursa-pastoris),
 sagine sans pétale (Sagina apetala),
 achillée millefeuille (Achilea milefolium),
 séneçon commun (Senecio vulgaris),
 myosotis des champs (Myosotis arvensis),
 renouée faux-liseron (Fallopia convolvulus),
 trèfle des près (Trifolium arvensis),
 trèfle blanc (Trifolium repens),
 plantain majeur (Plantago major)
 rumex sp.,
 laiteron maraîcher (Sonchus oleraceus),
 picride fausse vipérine (Picris echioides)
 véronique des champs (Veronica arvensis),
 crépis capillaire (Crepis capillaris),
 chrysanthème des blés (Chrysanthemum segetum)
 épilobe à quatre angles (Epilobium tetragonum)

à préciser / confirmer : jonc bulbeux (Juncus bulbosus), camomille inodore (confusion possible avec camomille sauvage)

Ce projet vient renforcer des démarches engagées depuis de nombreuses années via :
  le club nature et son potager pilotés par Sandrine Voisin au collège ;
 la participation au programme « Sauvages de ma rue » du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) visant à recenser la flore spontanée en milieu urbain avec les classes de seconde que j’encadre.
D’autres programmes du MNHN pourront enrichir notre démarche tels que le Spipoll (Suivi photographique des insectes pollinisateurs, en cours de test)…et puis, peut-être un suivi des oiseaux ou même des chauve-souris (encore une espèce qui a mauvaise presse, l’épidémie de COVID-19 n’arrangeant rien à l’affaire…).

Enfin, la haie mellifère et le « carré » de biodiversité s’inscrivent dans une démarche d’engagement de la cité scolaire vers un développement durable faisant l’objet d’une labellisation de la région Normandie. La mise en place du tri à la cantine en est une autre concrétisation.

La cité scolaire peut redevenir un lieu de biodiversité. Chacun de ses usagers pourra alors peut-être y trouver une source d’émerveillement et de bien-être.

Jérôme Ozouf – Sciences de la vie et de la Terre au lycée.

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